jeudi 17 janvier 2013

Comparaison n'est pas raison

Reprise d'activité ? On verra combien de temps cela dure. Il se passe tellement de choses que cela devient difficile et pour tout dire frustrant de ne pas y mettre son grain de sel. Bon nombre de sujets me tiennent à coeur et j'ai envie de les commenter. Et puis 140 caractères c'est trop peu, et Facebook c'est restreint au cercle de connaissances. C'est déjà ça, mais de l'ouverture et de la diversité, ça ne fait pas de mal au débat. Autant prévenir, les posts seront surement plus personnels et engagés qu'auparavant.

A la suite de la fameuse "manifestation pour tous" qui fait couler tant d'encre, les Anti-mariage pour tous partagent une image sur les réseaux sociaux pour revendiquer un référendum sur la question. Cette image fait la comparaison entre la grande manifestation de dimanche 14 janvier et les soulèvements populaires du "Printemps arabe". Certains n'hésitent pas à parler du "Printemps français" (à l'heure où la moitié du pays est en vigilance orange pour cause de verglas et de neige, c'est assez drôle). Cette image, vous l'avez peut-être déjà vue, la voici :



Au départ on est tenté de se dire, "ah oui, effectivement c'est ressemblant". Sauf qu'en vrai la place Tahrir ne ressemble pas vraiment au Champs de Mars. Et puis à bien y réfléchir, on se dit que les mouvements du printemps arabe étaient basés sur deux revendications fortes : la liberté face à un pouvoir qui opprime le peuple, et l'égalité alors que ces régimes consacraient une élite possédante et des populations rationnées. On ne voit plus vraiment le point de comparaison avec les quelques millions de français qui peinent à reconnaître la liberté de quelques autres millions de français en matière d'orientation sexuelle. On a bien entendu les justifications du style "on est pas contre les homosexuels, mais contre leur mariage". On pourra lire le billet très bien senti de J. Macé-Scaron et Christine Lambert sur ce point précis. Mais on sent que cela ne passe pas, les micro-trottoirs de dimanche étaient éloquents, combien de fois n'a-t-on entendu : "les homos font ce qu'ils veulent m'enfin quand même... c'est pas naturel". De même, on ne voit pas trop comment il est possible de comparer les révolutionnaires qui réclamaient l'égalité de l'autre côté de la Méditerranée (bon sur ce point il leur reste du chemin à parcourir !) à ceux qui la refusent ici. Car c'est bien de cela qu'il s'agit. On a bien l'habitude des manifestations qui ont pour but de protéger des droits acquis ou en réclamer de nouveaux. Mais cela fait bien longtemps qu'en France on n'avait pas vu des manifestations qui visent à empêcher le législateur d'augmenter les droits d'une catégorie de la population.

Plus pernicieux, et c'est à se demander si les concepteurs de la campagne n'avaient pas cette idée derrière la tête. En Tunisie, en Egypte, en Lybie, les homosexuels sont encore jetés en prison. Et les nouveaux pouvoirs en place n'y changent rien. Dans ces trois pays l'homosexualité est toujours illégale. Le combat militant des associations gays y est balbutiant, mais il s'organise depuis quelques années. En France on connait Robert Badinter pour son combat de septembre 81, l'abolition de la peine de mort. On a un peu oublié qu'en août 82 il avait gagné un autre combat, celui de la dépénalisation de l'homosexualité. Se comparer à ces pays sur la question de l'acceptation sociale de l'homosexualité est un formidable retour en arrière.

Car la reconnaissance de la multiplicité et de l'évolution des formes familiales, c'est le sens de l'histoire. La société se transforme lorsque norme sociale et norme juridique se déconnectent : parfois la norme juridique évolue plus rapidement que la norme sociale, faisant évoluer les mentalités. Parfois c'est l'inverse, la norme juridique doit s'adapter aux mutations sociales, comme c'est souvent le cas sur les questions familiales (mariage, égalité homme-femme, divorce, adoption, et aujourd'hui égalité homo-hétéro). Les anti-mariage gays veulent que la norme sociale reste consacrée comme le modèle unique par la norme juridique. Ceux qui défendent le projet de loi veulent que la norme juridique évolue pour que la situation des familles homoparentales ne soit justement plus considérée comme a-normale. Au départ cantonné aux "entrepreneurs de morale" de tous bords (je renvoie ici aux travaux d'Hower S. Becker sur l'évolution de la norme sociale et de la norme juridique, et le concept d'entrepreneurs de morale), le débat gagne la société, clivant fortement et faisant resurgir les réflexes mortifères pour le démocratie : la peur de l'autre et de sa différence.

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