mardi 14 avril 2009

Les sciences sociales pour comprendre la Nouvelle Star (1/4)

Amusons-nous un peu. Aujourd'hui je voudrais parler de ce fabuleux télé-crochet qui égaye nos mardi soirs. Il se passe des choses à Baltard, et si le niveau global des candidats n'est pas transcendant cette année (parait-il, personnellement je n'ai aucune compétence musicale, à mon grand regret), il y a de quoi expliquer quelques trucs à partir de la sociologie, de l'économie ou d'autres sciences sociales. Pour le premier numéro de cette petite série de billets, je vais tenter d'expliquer comment le sauvetage de Damien de la nouvelle star a en partie contredit les théories de Mancur Olson. Et vous me direz, quel rapport entre un apprenti chanteur de 29 ans et un économiste américain mort à la fin du XXe siècle ??

Mancur Olson est connu pour avoir mis au jour un paradoxe, le paradoxe de l'action collective. Des individus qui partagent un intérêt commun mais qui n'ont pas d'instances représentatives ont une forte probabilité de ne pas mener à bien les actions en direction de cet objectif commun.

Une action collective telle que participer à un vote en faveur d'un candidat, conduit à la production d'un bien collectif, la satisfaction de voir son candidat préféré chanter à nouveau la semaine prochaine. Mais pour Mancur Olson, cette action collective a peu de chance de se réaliser. En effet, les individus rationnels vont laisser les autres agir, en espérant recueillir l'avantage collectif, sans avoir à supporter le coût de l'action (envoi d'un SMS + 50 centimes d'euros). Le problème ici, c'est que si l'avantage est collectif, le coût lui est individualisable et donc plus difficile à supporter (c'est un peu comme la consommation collective de services non marchands produits par les services publics, et les impôts : on aime pas payer les impôts, mais on est bien content d'avoir des routes et des écoles). Le paradoxe se produit si tous les individus agissent rationnellement ; alors l'action collective ne se produira pas, et aucun avantage collectif ne pourra être obtenu, alors que tous y avaient intérêt.

Pourtant, mardi dernier, j'ai contribué à sauver Damien !
Mardi à 23h15, Damien a été sauvé par le public. Pourtant il avait complètement craqué, nul Damien, capable de bien mieux que cela d'habitude. C'en était désagréable pour nos oreilles tellement c'était faux... Et bien j'ai quand même voté pour lui !! Alors qu'objectivement il était presque le plus mauvais de la soirée. Ca c'est pas loin d'être complètement irrationnel : Manoukian et Soan ont invité ouvertement le public à voter pour lui, des milliers d'adolescents ont du se précipiter sur leur portable, j'aurai pu manipuler tous mes contacts facebook et leur dire de voter pour lui (bon ok, je l'ai fait), mon vote m'a coûté un SMS surtaxé (0.60€) alors que sa prestation ne valait pas un cachou, je pourrais revoir 10000 fois si je voulais les vidéos de Damien sur Dailymotion ou YouTube, même s'il sort de la Nouvelle Star je pense que je pourrais le trouver sur son MySpace... complètement taré je vous dis. En fait, si les individus contribuent parfois aux actions collectives c'est principalement pour deux raisons.

Pas si irrationnel que cela...
Il n'y a pas que la rationalité en finalité dans la vie pour guider nos choix, il y a aussi la rationalité en valeur : j'agis non pas vers un but, mais en accord avec mon système de valeurs. Mon système de valeurs n'a rien a voir avec la Nouvelle Star, il y a peu de chance pour que cela explique mon geste désespéré de mardi soir. Il y a également l'action individuelle qui est réalisée sous le coup de l'émotion, réaction de l'affect. Ici ce n'est pas le cas, j'ai bien réfléchi avant d'envoyer le numéro 4 au 71600 ! Autre moteur de l'action individuelle : la tradition. Non, la nouvelle star, c'est pas traditionnel pour moi.

Une deuxième explication, la rationalité limitée : nous ne sommes pas forcément en capacité de calculer exactement, à chaque instant, ce que nous coûte et nous rapporte nos décisions. Il y a donc tout un tas de choses à prendre en considération, et notre cerveau ne nous permet pas de tester toutes les solutions pour déterminer celle qui est absolument la bonne. Le plus souvent, on choisit le moins pire, en fonction de son expérience, on prend la première qui nous parait raisonnable :
1) Ici j'ai pu juger que mon forfait SMS était plein, et que je ne parviendrais probablement pas à le consommer dans son intégralité (ce qui repose une autre question : dois je diminuer mon forfait SMS ?), donc que le coût du SMS normal n'était pas si important que cela.
2) Par ailleurs, le surtaxage à 50 centimes peut être relativisé : quel est le coût d'opportunité de ce SMS, en clair qu'est ce que j'aurai pu faire avec ces 50 centimes que je ne pourrai pas faire si je les dépense pour M6 ? En bon prof, ma première réaction c'est de dire : 50 centimes = un café à la machine du lycée. Moins de café, moins de palpitations, moins de risque d'overdose, sommeil moins agité, mieux pour la santé !
3) Enfin, en tant que prof de SES, je connais cette théorie de l'action collective, je sais donc que si tous les spectateurs ont la même démarche rationnelle qui consiste à penser que je vais pouvoir profiter de la présence de Damien mardi prochain sans en payer le coût, alors je risque de ne pas revoir Damien ! Non, je ne peux raisonnablement pas laisser tomber ma future idole.

Mardi prochain, vous savez ce qu'il vous reste à faire...

4 commentaires:

La redac de ILC a dit…

Ehehe, vraiment cool ce billet. J'attends les autres :)

Denis Colombi a dit…

4) Tu savais qu'en envoyant ce SMS, ça te permettrait de faire un super-billet sur ton blog. Et paf, ça redevient calculateur :)

Plus sérieusement, j'ai aussi en projet une note sur la Nouvelle Star (après la prochaine, où je comparerais la bande-dessinée et les licenciements). J'espère qu'on va pas se couper l'herbe sous les pieds, dans un sens ou dans l'autre...

sesmargot a dit…

Je suis impatiente de lire la suite !

Blogueur Influent a dit…

J'ai bien ri pour ma part. La science devient d'un coup passionnante quand elle se penche sur ce genre de calculs.