mercredi 18 mars 2009

Pierre Méhaignerie : keynésien malgré lui ?

En ce mercredi après-midi ensoleillé, on apprend que la proposition de contribution exceptionnelle des plus hauts revenus de Pierre Méhaignerie, député UMP et maire de Vitré, vient d'être acceptée en commission à l'Assemblée Nationale. Mais elle a bien peu de chance d'aboutir car pendant ce temps, le gouvernement et une bonne partie de l'UMP ne veulent pas entendre parler d'une discussion sur le niveau du bouclier fiscal.

Pierre Méhaignerie a-t-il lu Keynes ? On dirait, à en croire ses récentes prises de positions sur la fiscalité des hauts revenus. En effet, partant du constat que les classes moyennes se sentent tirées vers le bas, et les classes supérieures tirées vers le haut, il préconise un redéploiement fiscal qui se traduirait par une hausse de l'impôt sur le revenu pour les français gagnant "plus de 300 000 ou 400 000€ par an". Objectif 1 : limiter le déficit public, qui s'accroît en raison des baisses de rentrées fiscales liées au recul de l'activité économique (deux relations simples pour l'illustrer : plus de chômage=moins de cotisations, moins de consommation=moins de TVA). Objectif 2 : un peu plus de solidarité en période de crise, ça ne fait pas de mal.

Keynes aurait été pour cette décision, mais pour une troisième raison (d'où le point d'interrogation dans le titre de ce billet quelque peu provocateur). En effet, dans la conception keynésienne de l'économie, il faut taxer l'excès de capital car celui-ci, loin de favoriser la croissance, la pénalise. Il écrit dans la Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie :

Depuis la fin du XIXe siècle, la taxation directe […] des successions a permis de réaliser, surtout en Grande-Bretagne, de sérieux progrès dans la réduction des très grandes inégalités de fortune et de revenu. Certains souhaiteraient qu'on allât beaucoup plus loin dans cette voie, mais ils sont retenus par deux ordres de considérations. D'abord ils craignent de rendre les évasions fiscales trop avantageuses. Mais ce qui à notre avis les arrête surtout, c'est l'idée que la croissance du capital dépend de l'épargne que la classe riche retranche de ses superfluités.
L'idée si répandue que les droits de succession contribuent à réduire la richesse en capital du pays illustre bien la confusion qui existe à cet égard dans l'esprit du public. Si le Gouvernement affecte le produit de ces droits à la couverture de ses dépenses de manière à alléger les impôts qui frappent le revenu et la consommation, il est incontestable qu’une politique fiscale imposant sévèrement les successions a pour effet d’accroître la propension de la communauté à consommer. Mais puisqu’un accroissement de la propension habituelle à consommer contribue en général à renforcer l'incitation à investir, la conclusion qu’on a coutume d’en tirer est l’exact contraire de la vérité.
L'analyse nous amène à conclure que, dans les conditions contemporaines, la croissance de la richesse, loin de dépendre de l'épargne des milieux aisés comme on le croit en général, a plus de chance d'être contrariée par elle. Ainsi disparait l’une des principales justifications sociales des grandes inégalités de fortunes.


En clair (parce que la formulation keynésienne est parfois un peu compliquée), si l'on affecte les recettes fiscales tirées de la taxation des hauts revenus à l'abaissement des taxes sur la consommation et les revenus des plus modestes, alors on incite ces derniers à la consommation. Or c'est la consommation, lorsqu'elle est anticipée par les producteurs, qui stimulent la production. La consommation en France est bien le premier moteur de la croissance. Et la croissance permet de résorber le chômage (pour aller vite).

Problème : 80 ans après Keynes, nous sommes dans des économies relativement ouvertes (même si la période de crise conduit les états à des mesures protectionnistes, comme l'a fait remarquer hier la Banque Mondiale), et stimuler la consommation en période de crise peut bien favoriser les importations plus que la demande de produits intérieurs. Cela dit, nos principaux partenaires commerciaux étant nos voisins (dans l'ordre Allemagne, Benelux, Italie, Espagne et Royaume-Uni : ces 5 pays représentent plus de 50% de nos échanges extérieurs) on voit donc que des mesures conjointes en direction des consommateurs pourraient être, à coup sûr, efficaces. Mais pour cela il faut parvenir à s'entendre sur la stratégie à adopter, et ce problème est plus politique qu'économique.