vendredi 25 janvier 2008

La sociologie dans le bureau de M. le Maire

Pierre Bourdieu, dans Question de sociologie disait de la sociologie qu'elle a d'autant plus de chances de décevoir ou de contrarier les pouvoirs qu'elle remplit au mieux sa fonction proprement scientifique. Cette fonction n'est pas de servir à quelque chose, c'est-à-dire à quelqu'un.
Demander à la sociologie de servir à quelque chose, c'est toujours une manière de lui demander de servir le pouvoir. Alors que sa fonction scientifique est de comprendre le monde social, à commencer par les pouvoirs. Opération qui n'est pas neutre socialement et qui remplit sans aucun doute une fonction sociale. Entre autres raisons parce qu'il n'est pas de pouvoir qui ne doive une part — et non la moindre — de son efficacité à la méconnaissance des mécanismes qui le fondent.

La sociologie politique et la sociologie des organisations, au sens de lieux d'exercice du pouvoir, sont à mes yeux deux des domaines les plus intéressants de la discipline sociologique. A l'heure où l'on reparle de supprimer l'échelon départemental du "mille-feuilles administratif" français, l'émergence depuis dix à quinze ans de la coopération intercommunale a créé, sans faire de bruit, un nouvel échelon dans la prise de décision politique. Les communautés de communes, d'agglomération, urbaines, redessinent le paysage administratif et politique français, induisant des modifications importantes dans la distibution des rôles joués par les acteurs de la démocratie locale.

Longtemps réservés aux politistes, ces lieux d'étude du champ politique que sont les Etablissements publics de coopération intercommunale (EPCI) sont peu à peu défrichés par Rémy Le Saout, sociologue nantais. En 1998, il signait un numéro de Problèmes politiques et sociaux intitulé Les enjeux de l'intercommunalité. Il a également dirigé avec François Madoré, géographe, un ouvrage collectif : Les effets de l'intercommunalité, sorti en 2004 aux Presses universitaires de Rennes. Plus récemment il signe un papier dans le cadre de la quatorzième journée d’étude du GDR Cadres, consacrée à l'encadrement dans les organisations publiques. Il revient sur les effets de l'intercommunalité sur les liens qu'entretiennent les maires avec leurs directeurs des services. Trés intéressant pour qui s'intéresse à la sociologie des organisations, à la sociologie politique ou pour ceux qui travaillent au quotidien dans les collectivités territoriales. Décidément, il n'est pas un endroit de la réalité sociale où la sociologie n'ait pas sa place !


Sources : Pierre Bourdieu, Questions de sociologie, Minuit, 1980.
Rémy Le Saout, Recomposition institutionnelle et encadrants publics : l'intercommunalité comme révélateur des liens entre le directeur des services municipaux et le maire, 14e journée GDR Cadres, CNRS.

3 commentaires:

Fr. a dit…

Je veux bien que tu détailles sur ce que dit Bourdieu, please. Ça me semble tellement aberrant ! La vocation scientifique est justement de ne pas se soucier de l'effet des résultats sur les intérêts des acteurs. Dire que la contrariété des pouvoirs est un bon signe pour le raisonnement incite au conséquentialisme. Bref, tout faux. Help me!

Unknown a dit…

Rassure toi, je pense que tu as simplement lu la phrase de Bourdieu de travers (et c'est un peu ma faute, parce que je sors souvent les citations de leur contexte pour faire des notes courtes, et c'est aussi la faute de Bourdieu, qui n'est pas connu pour avoir une écriture des plus limpides). Je pense qu'on ne peut pas taxer Bourdieu de conséquentialisme (ie tester la valeur d'une idée ou d'une théorie d'après ses conséquences). Ce qu'il dit, c'est que la sociologie doit chercher la vérité, quitte à déranger l'ordre établi (pourtant Questions de sociologie parait en 1980, donc avant que Bourdieu adopte une posture pleinement critique). Il insiste beaucoup sur le fait que la sociologie a pour objets des champs de lutte. Et que pour expliquer le pouvoir il faut comprendre et décortiquer ces mécanismes. Comme le fait que ces mécanismes soient cachés est précisément la source du pouvoir, alors révéler ces mécanismes revient souvent à contrarier le pouvoir. C'est une conséquence, mais ce n'est pas le fait que cette conséquence advienne qui valide une théorie sociologique.

Par ailleurs Bourdieu n'est pas le seul à avancer que le pouvoir repose sur le caché. Les travaux de Michel Crozier (pas vraiment bourdieusien) sur les organisations ont bien montré que le pouvoir des dirigeants sur leurs subordonnés reposaient sur la maitrise de "zones d'incertitude".

Maintenant il est vrai que Bourdieu et la neutralité, c'est une relation complexe... Faudrait peut etre que j'en fasse une note.

Anonyme a dit…

Bonjour

"La vocation scientifique est justement de ne pas se soucier de l'effet des résultats sur les intérêts des acteurs."

Vous avez raison, mais cette "vocation" est bien souvent mise à mal par les modes de financement et par la mode qui leur est associée confondant les enquêtes de sociologues avec des enquêtes "de concertation" ou "d'aide à la décision". Dans ce cas, les intérêts des acteurs engagés dans la commande s'expriment évidemment à travers les thèmes d'étude proposés mais aussi à travers la possibilité, en tant que financeurs, d'empêcher la mise à jour des résultats.

Il est vrai que la sociologie est un sport de combat.

Albert